Après l’extase, la lessive

À quoi ressemble la vie après l'éveil?

Extraits d’un livre de Jack Kornfield

La plupart des épopées spirituelles s’achèvent sur l’illumination ou l’éveil. Mais demandons-nous ce qu’il se passe ensuite? Qu’advient-il lorsque le maître zen rentre chez lui et retrouve femme et enfants? Qu’arrive t-il lorsqu’un mystique chrétien va faire ses courses?

Après l'extase la lessive - Jack Kornfield
Jack Kornfield est est un moine bouddhiste américain, enseignant du courant Vipassana dans la tradition du Theravada et auteur.

À quoi ressemble la vie après l’extase?

C’est pour répondre à cette question que Jack Kornfield a mené une vaste enquête auprès de nombreux maîtres et instructeurs qui, après avoir consacré leur vie à une recherche spirituelle, transmettaient à d’autres ce qu’ils avaient eux-mêmes reçu.

Maîtres zen, lamas tibétains, rabbins, abbés de monastères, nonnes et yogis, disciples de longue date ou enseignants chevronnés, en acceptant de livrer en toute sincérité les difficultés auxquelles ils ont été confrontés, nous montrent que la sagesse ne consiste pas à nier nos faiblesses mais à les intégrer à notre démarche. Car, comme le dit l’adage : « Ou vous entrerez entier au Paradis, ou vous n’entrerez pas. »

Jack Kornfield nous invite à ne plus considérer l’éveil comme une fin en soi mais à privilégier une action éveillée qui, tout en accueillant nos plus profondes expériences spirituelles, accepte de procéder à un grand nettoyage intérieur.

S’éveiller

« Que ce soit dans l’éclat de la beauté du cœur ou dans les forêts obscures de la confusion ou du chagrin, une force aussi sûre que la gravitation nous ramène à notre vraie nature, à notre cœur sage et reconnaissant. Cela arrive à chacun d’entre nous. Chacun de nous, à son rythme s’éveille. Un jour, cela apparaît en enfonçant la porte et en nous disant : Que tu sois prêt ou pas, me voici« 

Dans l’époque complexe, agitée et exigeante où nous vivons, il nous faut toute notre attention et notre détermination pour maintenir une pratique. Quand l’esprit s’ouvre, quand le corps change, quand le cœur est touché, tous les éléments de la vie spirituelle se révèlent.

Vivre sa vie comme une aventure

La sécurité est en grande partie une superstition. Elle n’existe pas dans la nature et les enfants des hommes ne l’expérimentent pas comme une plénitude. Eviter le danger n’est pas plus sûr à long terme que de s’y exposer totalement. La vie est une aventure à tenter, sinon, elle n’est rien.

Enfance et magie

Au fils des ans, une société pragmatique et matérialiste peut supplanter le mystère originel de notre enfance. Très tôt, nous sommes envoyés à l’école pour «grandir» et «devenir sérieux». Si nous ne quittons pas notre innocence d’enfant, le monde se charge de nous l’extirper.

Douleur et assise

Il nous suffit de nous asseoir tranquillement pour que les zones de contractures et de crispations deviennent manifestes : tensions dans nos épaules, dans le dos, au niveau des mâchoires et dans les jambes. Au cours de nos vies, à chaque fois que nous rencontrons un conflit ou un stress, nous avons l’habitude de nous contracter, fabriquant ainsi ce que Wilhelm Reich appelle une «carapace caractérielle».

Se défaire des écorces du cœur

Dans nos efforts pour l’ouverture du corps, ouvrir et soigner notre cœur est inévitable. Toutes nos habitudes et croyances (colère, orgueil, peur, agitation, doute etc.) nous maintiennent le cœur fermé.

Jugement

Dans toutes les disciplines, les nouveaux pratiquants sont habituellement choqués de voir combien de jugements d’aversion et de haine envers eux-mêmes ils découvrent. «Jusqu’à ce que je médite, je n’avais jamais su à quel point je portais un jugement sur tout. J’avais une opinion et un verdict sur toutes les petites choses intérieures et extérieures : trop fort, trop doux, pas assez, trop». Le jugement comme la colère est une peau (écaille) dont nous pouvons nous défaire.

Les couches de l’esprit

Comme pour le corps et le cœur, quand nous nous penchons sur l’esprit, des tensions se révèlent. Il y a les couches de doute, d’ambition, de peur, de croyance, les mille histoires et images de soi, le passé, le futur, tout ce qui constitue notre structure mentale défensive. Nous voyons comment l’esprit abandonne très souvent l’instant présent pour se rendre quelque part ou devenir quelqu’un d’autre.

En nous engageant dans la méditation, nous allons rencontrer les pensées répétitives et les croyances limitées que nous créons.

Un schéma fréquent concerne les idées fixes que nous avons envers nous-mêmes. Comme ses pensées et convictions sont puissantes, nous manifestons sans cesse leurs énergies.

Ces schémas de pensées associées aux tensions du corps et du cœur produisent une notion limitée de nous-mêmes. Quand nous les vivons, notre vie est faite d’habitudes et de réactions.

Le pardon

Le pardon doit toujours voyager dans les deux sens. Ce n’est pas une simple affaire de volonté, pardonner n’est pas toujours facile. Pardonner ne permet pas d’abolir les injustices du passé. Nous devons faire le vœu « je ne permettrai plus jamais à ceci d’arriver ». En fin de compte, le pardon est un lâcher-prise des douleurs passées et de la haine. A travers sa bonté adoucissante, nous nous libérons des ressassements aveugles et nous cessons de transporter la douleur du passé dans le futur. Pardonner signifie que nous n’excluons personne de notre cœur.
Si le pardon de soi est essentiel, celui des blessures que les autres nous ont causées est également nécessaire pour accéder à la guérison.

Le désenchantement

Pour revenir à notre essence, un choc ou un coup dur peut être nécessaire. L’écroulement douloureux de notre monde est souvent l’opportunité précieuse dont notre cœur à besoin pour être sincère avec lui-même. Chaque étape est une demande d’abandonner l’ancien pour nous ouvrir à une plus large vision.

Les femmes et le bouddhisme

Sylvia Wetzel, une enseignante bouddhiste allemande, expliqua lors d’une rencontre avec le Dalaï-Lama la combien il était difficile pour les femmes et la sagesse féminine d’être totalement intégrée dans les communautés bouddhistes. Elle montra les bouddhas dorés et les splendides peintures tibétaines qui entouraient la salle, faisant remarquer que tous étaient représentés sous une forme masculine. Puis elle demanda au Dalaï-Lama et aux autres maîtres et lamas de fermer les yeux et de méditer avec elle et d’imaginer qu’ils entraient dans cette salle et que celle-ci avait été transformée, de sorte qu’ils se prosternaient maintenant devant la 14ème réincarnation féminine du Dalaï-Lama. Avec elle, bon nombre de conseillères qui avaient toujours été des femmes autour d’elles, il y avait des représentations de Bouddhas et de personnes saintes, toutes évidemment sous une forme féminine. Il n’avait jamais été enseigné, bien entendu, qu’il était moins bien d’être de sexe masculin, mais il été néanmoins demandé aux hommes de s’asseoir derrière et des rester silencieux puis d’aller, après la méditation, aider en cuisine. Au terme de cette méditation, chaque homme rouvrit les yeux passablement ébranlé.

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