Savoir attendre pour que la vie change

Qu'est-ce qui guérit, qu'est-ce qui fait changer ? Qu'est-ce qui nous retient ?

Extraits d’un livre de François Roustang

Savoir attendre pour que la vie change - François Roustang
François Roustang (1923 – 2016) était philosophe, psychanalyste et hypnothérapeute.

Le corps humain est la meilleure image de l’âme humaine

C’est du corps qu’il faut s’occuper, pas du corps vu par la médecine scientifique, mais du corps qui parle qui ressent.

Les relations et connexions dont nous sommes faits sont d’une infinie richesse. La plupart du temps nous n’y pensons pas et pourtant elles forment notre individualité.

Laisser s’opérer le changement

Le changement est une modification des rapports que l’individu entretient avec lui-même, avec les autres personnes et les choses de son environnement. Il s’agit donc d’une transformation du complexe relationnel dans lequel il se trouve.

La première question à se poser, pour aller plus loin dans l’intelligence du changement, consiste à se demander pourquoi et comment s’impose sa nécessité du changement.

Un changement est nécessaire lorsque le complexe relationnel, tel qu’il est aujourd’hui, est ressenti comme intolérable dans l’un ou plusieurs de ses constituants.

Si ce point de départ vient à manquer et rien ne pourra être effectué. Il arrive, en effet, que des personnes qui vient demander de l’aide supportent assez bien leur peine. Alors, le coût du changement est supérieur à la dépense occasionnée par le mal.

De quoi avez-vous peur ?

La peur est une première entrave au changement.

Le changement amène une nouvelle configuration relationnelle et donc la tâche difficile est de réinventer son existence dans toutes les directions où elle s’étend.

Basculement ou levier?

Le levier est l’ouverture à tout ce qui peut advenir. C’est la disponibilité qui permet d’emprunter un chemin profitable. C’est la flexibilité nécessaire pour adopter des comportements qu’impose la situation.

Cela ne suffit pourtant pas pour qu’un changement soit opéré. La force a été réveillée mais encore faut-il qu’elle s’applique quelque part. Un Nouveau Monde est à l’horizon, mais il faut savoir de quel côté et sous quel angle il est opportun de l’aborder. Nous disposons du levier, mais où se trouve le point d’appui?

Point d’appui

Le point d’appui est un point stratégique découvert par un travail conjoint du patient et du thérapeute.

Pendant tout le temps de la recherche de points d’appui, le thérapeute doit être indifférent aux résultats et s’attendre tout aussi bien à un échec qu’à un succès des séances. Sinon, il télescoperait le moment du choix, qui est décisif. Il prendrait la place du patient et se livrerait à un forçage irrespectueux et inefficace.

Le patient doit pouvoir renoncer à guérir de son mal si cela lui chante. Quand nous avons conduit quelqu’un au seuil du choix décisif, notre tâche est accomplie quoi qu’il choisisse. Nous voulons seulement qu’il décide, le reste n’est pas de notre ressort.

Les obstacles au changement

Ce qui fait obstacle au changement est notre façon répétitive de percevoir et de comprendre les choses de notre existence.

Nos stéréotypes sont soutenus et consolidés par des pensées, des croyances et des jugements qui ne sont pas en contact avec les fluctuations de la vie. Notre sensorialité est endormie par ce savoir préalable. Pour la réveiller, il faut la couper de ceux-ci même et de tout ce qui fait l’exercice de notre intelligence et de notre volonté. Il faut lui rendre sa liberté et la possibilité d’inventorier tout à sa guise.

Cette perte de contrôle fait peur. Pour ouvrir au patient le champ des possibles, dont il craint qu’ils surgissent, le thérapeute doit se tenir dans une double ignorance : celle du but et celle des moyens. Il ne sait pas si quelque chose de nouveau va venir au jour et pas davantage sa teneur éventuelle. Il ne sait pas non plus par quelle voie y accéder. Il guide parce qu’il confirme chaque pas après qu’il soit fait et n’indique, en aucun cas, ce qui doit être fait ou pensé.

Le refus de l’événement

Le refus est la première réponse un événement qui provoque la souffrance.

Le refus est légitime et nécessaire. En nous mobilisant pour prétendre qu’il n’a pas eu lieu, nous lui donnons une consistance. Alors que nous pensons l’ignorer, nous en dessinons les contours.

Accepter?

Demander à quelqu’un ou à soi-même d’accepter le malheur qui est arrivé avec son cortège de douleur et de peine, c’est se situer au-dessus de l’événement, c’est faire comme s’il n’avait pas eu lieu, c’est le recouvrir d’un voile et c’est déjà vouloir l’oublier.

Or l’oubli, à ce moment premier, ne ferait que redoubler l’ignorance de ce qui a bouleversé l’existence. Ce serait laisser se répandre la gangrène dans les plus secrets replis de la personne et ferait souterrainement un travail destructeur.

Affronter?

Dans quelle direction orienter pour que s’élève la lumière d’une solution?

Il s’agit de transformer le rapport à l’événement qui a causé la souffrance. Affronter veut dire se laisser transformer par le contexte nouveau que nous ne pouvions prévoir et qui s’impose à nous.

Sous le choc reçu, notre peau a perdu de son épaisseur. Nous pouvons nous sentir fragilisés. Mais il se peut aussi que nous devenions plus intelligents à l’égard des signes que nous envoie le quotidien.

Quelle est la nature du savoir transmis sous l’effet de la souffrance? Le thérapeute face à la douleur de son patient a une attitude qui se résume en trois mots : attention, sérénité et silence. Attention devant le récit d’une grande souffrance, l’interlocuteur ne nous demande d’abord qu’une grande attention. Sérénité veut dire que le thérapeute n’a pas à partager la souffrance du patient. Ce partage ne lui serait d’aucun secours. Le patient ne demande pas qu’on souffre avec lui. Silence car nous entendons, nous voyons, nous touchons, nous sentons, tous nos sens sont en éveil et se confondent, sans aucune tentative d’analyse, de paroles.D’une certaine façon nous n’avons rien à dire et rien à faire. C’est dans le silence de la relation que la modification s’effectue.

Renoncer au pourquoi

Lorsque nous souhaitons changer quelque chose à notre vie, le premier moment du savoir prend la forme d’une question: «Pourquoi en est-il ainsi?»

On veut comprendre, on cherche une explication et on pense que la solution est inscrite en elle. Si je pouvais savoir ce qui m’entrave, il me serait facile de remédier à mon mal. Or ce modèle n’est ici d’aucun secours.

La description des motifs peut éventuellement éclairer une situation, elle n’est pas le levier capable de la changer.

Cesser de réfléchir

Lorsqu’on se heurte à un problème, il faut cesser d’y réfléchir davantage sans quoi on ne peut pas s’en dépêtrer.
Il est souvent nécessaire de suspendre sa pensée, de prendre congé de son mode de pensée habituelle qui se situe dans notre entourage familier.
S’engager dans une rêverie sans ancrage et sans limite. Aller sur un chemin que vous ne connaissez pas, et que je connais moins encore, pour aboutir en un lieu que vous ignorez, en vue d’accomplir ce dont vous êtes incapable.

Laisser se faire

Lâcher prise, c’est-à-dire ne rien faire et surtout même ne faire aucun effort pour ne rien faire.

Ne rien faire, c’est ne rien faire de particulier, ne s’arrêter à aucune pensée, aucun sentiment, aucune sensation. Il s’agit de laisser se faire. Cela équivaut à un état de réceptivité sans limitation aucune.

Nous devons laisser se faire la solution. Surtout ne pas penser, mais laisser la vie multiforme nous conduire.

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