Réveiller le tigre

Comment guérir de nos traumatismes ?

Extraits d’un livre de Peter Levine

Réveiller le tigre - Peter Levine
Peter A. Levine, né en 1942, est un psychologue clinicien et psychothérapeute américain. Spécialiste de la thérapie des traumatismes psychiques, il a fondé le Somatic Experiencing.

Ombre d’un passé oublié

Les reptiles et les mammifères disposent de trois réponses primaires lorsqu’ils sont confrontés à une menace qui dépasse leurs capacités d’y faire face : le combat, la fuite et le figement.

Le figement est une réponse de la dernière chance qui revient à « faire le mort ». D’un point de vue physiologique le reptile ou le mammifère entre dans un état modifié de conscience où aucune douleur n’est ressentie.

C’est la même mécanique qui se met en place pour un traumatisme. Il est fondamental de comprendre que cette réponse est involontaire. Le mécanisme physiologique qui la gouverne se trouve dans la partie primitive de notre cerveau qui n’est pas sous notre contrôle conscient. L’aptitude à entrer et sortir du figement est la clef qui permet d’en éviter les effets nocifs.

Une question d’énergie

Ce n’est pas l’événement déclencheur lui-même qui provoque le traumatisme. C’est le reliquat d’énergie qui n’a pu être transformée et déchargée qui est piégée dans le système nerveux et provoque des dégâts sur le corps et l’esprit.

Un être humain qui a vécu une menace doit libérer toute l’énergie mobilisée afin de transformer cette expérience menaçante faute de quoi il en devient une victime.

L’énergie résiduelle ne disparaît pas de tout simplement. Elle persiste dans le corps et peut provoquer une large variété de symptômes tels que l’anxiété, la dépression, les problèmes psychosomatiques ou comportementaux. Ces symptômes sont le moyen qu’utilise l’organisme pour contenir l’énergie résiduelle non libérée.

Les animaux sauvages libèrent instinctivement toute cette énergie comprimée. Chez les être humain, il faut déjà avoir conscience du traumatisme et de ses répercussion pour arriver à libérer ses forces et éviter de rester dans l’expression des symptômes.

Le traumatisme non résolu fait de nous des individus prudents à l’excès et inhibés. Il peut aussi nous mener dans des cercles toujours plus étroits de répétition, des victimisations et d’exposition irréfléchie au danger.

Des blessures qui peuvent guérir

Les racines du traumatisme plongent dans la physiologie de nos instincts. C’est tout autant grâce au corps qu’à l’esprit que nous découvrons les clés de la guérison. Chacun de nous doit trouver l’accès à ses racines corporelles et spirituelles.

Guérir est un processus naturel auquel nous ne pouvons accéder que par une prise de conscience interne de notre corps. Cela ne demande pas des années de thérapie, ni la recherche de souvenirs enfouis dans l’inconscient.

L’énergie bloquée dans le figement peut être transformée, mobilisée et déchargée. Dans le monde animal, cela peut se traduire par des tremblements, etc. Chez l’être humain cela peut se traduire par une catharsis physiologique (transpiration, fréquente envie d’uriner, léger frisson, agitation…)

Une terre étrange et nouvelle

 Le traumatisme est si commun que beaucoup ignorent qu’ils en souffrent. La vie moderne nous confronte peu à des situations où notre survie est en jeu. Toutefois nous sommes confrontés à des défis et réagissons comme nos lointains ancêtres car si les temps changent vite, nos systèmes nerveux eux se modifient très lentement.

La plupart d’entre nous ont établi une séparation complète entre le corps et l’esprit. Nous ne vivons pas complètement nos instincts et réactions naturelles ce qui nous empêche de résoudre spontanément les traumatismes que nous vivons.

Les symptômes sont l’anxiété, les attaques de panique, l’insomnie, la dépression, le repli sur soi, les colères fréquentes, les comportements destructeurs répétitifs, etc. Les effets traumatiques n’apparaissent pas toujours immédiatement après ce qui les a causés et ils peuvent rester latents pendant des années voire des décennies. Ils ressurgissent à l’occasion d’un stress ou d’un autre incident, sans prévenir et sans lien apparent avec leur est l’origine. Ils peuvent arriver qu’un événement apparemment mineur donne lieu à un effondrement soudain.

Ignorer que l’on a vécu un traumatisme de met pas à l’abri de ses conséquences. De la même manière, le déni empêche la guérison.

Dans nos cultures, nous manquons de tolérance vis-à-vis de la vulnérabilité émotionnelle. Trop peu de temps nous est accordé pour récupérer d’un choc émotionnel et il nous est demandé de nous réadapter au plus vite. Combien de fois n’avez-vous pas entendu : « Secoue toi, c’est fini maintenant. Tu devrais ne plus y penser. Fais comme si de rien n’était. Il est grand temps que tu reprennes ta vie en main. »

Notre capacité à réagir efficacement lorsque nous sommes confrontés au danger dépend de plusieurs facteurs :

L’événement lui-même
– Le contexte de vie lors de l’événement traumatisant
– Les caractéristiques physiques de la personne
– Les compétences acquises
– Le sentiment qu’a l’individu de sa capacité à affronter le danger et le sentiment qu’il a de ses ressources internes. Ces ressources englobent les attitudes mentales et les expériences vécues.

Guérison et communauté

Dans nos cultures modernes, nous avons une croyance qui dit que nous devons endurer et être fort, continuer notre route comme si de rien n’était.

Grâce à la force du néocortex et à notre capacité de rationaliser, nous pouvons donner l’impression de tout contrôler, de gérer les événements sans problème, de sortir d’un épisode difficile sans dommage. Comme si rien ne s’était passé, nous serrons les dents admirés par autrui, véritable Superman des temps modernes.

Notre apparence solide si solidité n’est qu’un leurre. Les effets du traumatisme s’amplifient, se consolident et les réponses inachevées figées dans notre système nerveux deviennent des bombes à retardement qui un jour se déclencheront.

Dans le reflet du traumatisme

Les sensations corporelles peuvent nous guider vers nos ressources internes que nous possédons tous. Dès que nous apprenons à y accéder, nous pouvons guérir nos traumatismes. ➢ Si nous dirigeons notre attention sur les sensations corporelles internes, nous pouvons dénouer et libérer les énergies qui ont été bloquées depuis l’événement traumatique.

Être volontairement attentif à son corps et à ses sensations rend toute expérience plus intense. L’expérience du confort, par exemple, simplement assis sur une chaise provient de votre Felt sens et non de la chaise. Les sens physiques, externe (vue, ouïe, odorat, touché, goût) ne sont qu’une part de l’information qui constitue la conscience corporelle. D’autres données proviennent de la conscience interne de notre corps (position, tension, mouvements, température).

La conscience corporelle englobe un ensemble complexe de nuances sans cesse changeantes. C’est à partir de la conscience corporelle que nous pouvons faire l’expérience du bien-être, de la paix et de l’unité.

La culture occidentale ne nous habitue pas à faire ce genre d’expérience. On nous apprend à lire, à écrire, à calculer, à réfléchir mais on ne nous apprend pas à sentir.

La conscience corporelle comprend à la fois des éléments physiologiques et des éléments psychologiques. Vous pouvez parfois ressentir une sensation et avoir d’énormes difficultés à la décrire. L’organisme utilise ce qu’il connaît pour décrire ce qu’il vit. Une sensation peut être ressentie comme étant flou, irrégulière, faite de verre, de bois ou de plastique. Il s’agit de métaphores.

L’expérience animale

Quel que soit le degré d’évolution atteint par l’être humain dans tous les domaines du raisonnement, du sentiment, de la planification, de la construction, de la synthèse, de l’analyse, ou de la création, il n’existe pas de substitut aux forces instinctives qui nous viennent de notre passé primitif. Certaines de nos réponses à un événement peuvent paraîtres incompréhensibles, d’autres toute puissante et irrépressibles.

La nature a doté le système nerveux de toutes les espèces vivantes d’une capacité à répondre au danger. Cependant il n’y a que l’être humain qui développe des réponses post-traumatiques.

Le cerveau reptilien est le domaine de l’instinct. La sensation est le langage du cerveau reptilien. Le choix conscient n’existe pas pour les reptiles. Chaque comportement, chaque mouvement est instinctif. Notre intellect et notre émotionnel se sont développés à partir de cette matrice instinctive.

Comment le biologique devient pathologique

Le figement

Face à la menace, l’organisme a 3 solutions : combattre, fuir ou se figer. La dernière alternative lorsque les réponses de combat et de fuites sont inutilisables est le figement.

Mais alors l’énergie qui aurait dû être libérée par l’exécution de stratégie de fuite ou de combat, se trouve bloquée et amplifiée dans le système nerveux. Dans cet état émotionnel, la réponse de combat qui n’a pu être exprimée se transforme en colère et la réponse de fuite en sentiment d’impuissance.

À cause de la complexité et de la puissance du cerveau rationnel, le néocortex, qui peut, par la peur et le contrôle excessif interférer avec les impulsions instinctives et avec les réponses de décharge d’énergie.

La durée de la réponse de figement chez les animaux et normalement limitée. Chez l’être humain la peur peut s’installer empêchant l’achèvement naturel de la réponse. Les symptômes s’accumulent, se maintiennent et se complexifient. Malheureusement ce n’est pas facile de dire simplement « il n’y a cas décharger l’énergie résiduelle. »

Si l’organisme continu à réagir émotionnellement, il y a un engrenage. Le seul moyen de sortir de cet état de figement consiste à faire l’expérience petit à petit d’une relative sécurité grâce à la conscience corporelle. Si l’énergie figée s’accumule, les symptômes s’accentuent et de chroniques, ils deviennent permanents. (Cela prend des mois bien entendu). Le système nerveux utilise tous les moyens à sa disposition physiologique, comportementaux, émotionnelle au mentaux pour contrôler une activation énergétique excessive. Cela se manifeste par des symptômes.

Le pathologique retourne biologique

Quand les êtres humains commencent à émerger du figement, ils sont saisis de brusques et intenses accès émotionnels, qu’il est important de convertir en action. Chaque blessure fait partie de la vie et contient un germe de guérison et de renouveau. Comme notre peau blessée a une capacité à se renouveler dans un processus naturel d’auto guérison, notre psychisme, notre esprit, notre âme blessée peuvent guérir. Nous en avons les capacités.

Le noyau de la réaction traumatique

Dans les périodes de conflit ou de stress, beaucoup d’entre nous ressentent des symptômes telle une augmentation de fréquence cardiaque et respiratoire, de l’agitation, des difficultés d’endormissement, de la tension, une impatience musculaire, des pensées fuyantes, un sentiment d’impuissance…

Lorsque nous réagissons à une situation nous menaçant, le système nerveux s’assure pour que tout soit concentré sur la menace.

Si vous êtes en mesure de reconnaître les symptômes qui appartiennent au noyau de la réaction traumatique vous êtes en mesure d’amorcer un processus d’auto guérison. Si l’énergie liée à cet état d’activation élevée n’est pas déchargée, l’organisme en déduit que le danger persiste. Il continue alors à stimuler le système nerveux afin de se maintenir dans un état de préparation et d’activation.

L’évitement des situations stressantes ne suffit pas à empêcher la rupture de notre système de défense. Nous avons tendance à fuir les situations qui déclenchent des émotions et sensations inconfortables. Pour renouer avec sa vitalité et sa santé, nous devons renouer avec le processus inné de guérison. Cela implique de renouer avec son corps. De stimuler délibérément le système nerveux et de décharger doucement les énergies contenues.

Transformer, c’est changer les choses en mettant en relation les pôles opposés. En passant d’un état post-traumatique à la sérénité, des modifications fondamentales se produisent niveau de notre système nerveux, de nos émotions, de nos perceptions et nous les ressentons au travers de la conscience corporelle. Par cette transformation, notre système nerveux retrouve sa capacité d’autorégulation. Le corps permet de retrouver l’aptitude à transformer et à intégrer les polarités d’expansion et de contraction.

Le processus de guérison est intérieur

Nos traumatismes ne sont plus dans la jungle mais dans la pollution de la planète, la guerre, le terrorisme, l’écart toujours plus grand entre populations riches et pauvres, le chômage, etc.

Pour résoudre nos traumatismes, nous devons apprendre à nous mouvoir en toute fluidité entre instinct, émotion et pensée rationnelle.

En apprenant à entrer en contact avec nos sensations corporelles, nous pénétrons nos racines instinctives. Si nous intégrons notre héritage du cerveau reptilien dans le cerveau limbique et le néocortex, nous vivons la plénitude notre

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